Août 2016. 2600 m d'altitude. Refuge des Evettes dans le Parc national de la Vanoise. Il est 7h30. On se lève. Le gardien nous a offert le luxe de pouvoir déjeuner à 8h car nous étions les seuls pensionnaires, exceptées trois personnes arrivées sur le tard la veille. Tout le monde avait annulé en raison du mauvais temps.
Nous sommes arrivés la veille début d'après-midi en provenance du Refuge du Carro. Des orages étaient annoncés vers 15h ce jour-là. Les prévisions météo se sont avérées exactes. Juste le temps de découvrir le cirque des Évettes et ses nombreux lacs, puis d'essayer de capter le wifi sur le col pour envoyer un dernier texto à mon compagnon, et la pluie s'est mise à tomber. Nous nous sommes couchés très tôt, installés tous les quatre sur une même banquette et enroulés dans notre sac à viande, la porte entre-ouverte. Les dortoirs étaient vides. Notre chambre donnait sur un petit hall où la chaleur d'un poêle à bois séchait les vêtements des trois retardataires. De ce soir-là, j'ai le souvenir d'une vague intense de bien-être. Tout simplement, j'étais étendue dans ce grand lit, au milieu de mes trois enfants, à 2600 m d'altitude et en sécurité. Je me suis laissée bercée par le bruit du bois qui brûlait et qui craquait, avec ce sentiment d'être en parfait accord avec moi, de profiter pleinement du moment présent, et de ne pas passer à côté de mes enfants. Je me disais avoir beaucoup de chance d'être avec les bonnes personnes, au bon endroit et au bon moment.
Après un bon petit déjeuner, on s'apprête pour reprendre la route vers l’Écot, puis vers Bonneval-sur-Arc. Le brouillard s'est installé dans le cirque glaciaire ce matin. On distingue quelques rochers au loin. Soudain, mon fils attire notre attention sur la présence d'une ombre tout au loin. Des chamois ? Des bouquetins ? J'essaie de le faire patienter le temps de rassembler nos affaires. Mais il n'y pas moyen. Il enfile son sac à dos et s'aventure vers les lacs en contrebas du refuge, puis vers les roches les surplombant. Ses deux sœurs essaient de le rattraper. Après quelques minutes, le brouillard commence à se dissiper et dévoile par magie un bouquetin allongé ainsi que 3 paires de cornes qui semblent sortir du sol.
Assis sur un rocher, nous les observons à quelques dizaines de mètres. La journée s'annonce ensoleillée et le soleil réchauffe déjà l'air. Des mouvements de brouillard font apparaître en quelques minutes, cinq ... puis dix..... puis dix-sept bouquetins. Incroyable ! C'est comme s'ils étaient venus nous saluer ! On décide de s'approcher d'eux à petits pas. Nous sommes à quelques mètres maintenant.
Bien que les bouquetins nous aient remarqués, ils restent calmes et certains allongés. D'autres changent de place, mais ils ne semblent pas nous craindre. A nous de ne pas les faire fuir. Nous restons là sans bouger à les regarder pendant plus d'une heure de pur bonheur. Certains font la sieste, d'autres pâturent dans les zones d'herbe. Ils semblent s'habituer à notre présence.
Un petit groupe de quelques jeunes bouquetins se méfient malgré tout. Nos moindres mouvements les font tressaillir. D'un autre côté, un gros mâle prend la pose. On distingue bien les sillons circulaires sur la face de ses cornes. Sur la droite, une femelle allongée, aux cornes plus courtes s'isole. Elle nous observe longuement puis décide de prendre le soleil, la tête en avant, comme si elle bronzait.
Assise près de ma plus jeune fille d'un côté et les deux autres de l'autre, un sentiment de sérénité et de bien-être règne. Voir que mes enfants partagent ce même sentiment me rend tout simplement heureuse. Cette rencontre nous offre un temps de pause et de connexion totale avec la nature. Ce n'est pas souvent qu'il nous est permis d'échanger de longs regards avec un animal sauvage en pleine nature. Le bonheur ! Et comme Gandhi le dit : "Le secret du bonheur, c'est l'alignement entre ce que vous pensez, ce que vous dites et ce que vous faites". A ce moment précis, comme la veille avant de m'endormir, je comprends et ressens ce qu'il a voulu dire, ce sentiment d'être libre, serein et en plein accord avec soi.
Le temps passe si vite. Nous devons reprendre notre balade et nous remontons vers le col. Les enfants n'arrivent pas à les quitter. Ils se retournent tout le temps pour les voir "encore une dernière fois, Maman". J'avais, moi aussi, ce sentiment que ce moment serait unique. Quitter cet endroit et ainsi mettre fin à ce bien-être intérieur, m'attriste.
Il est près de 11h, après de multiples arrêts, nous arrivons au col des Evettes. La "vie normale" me rattrape bien vite. La 3G se réactive et mon téléphone affiche une série d'appels en absence et de messages : "Tout va bien ?" "Donne-moi de tes nouvelles". Mon compagnon est inquiet ... plus de nouvelles de nous depuis la veille 16h et en plus, il ne savait pas où nous étions. Il était prêt à appeler la police alors que nous, nous étions déconnectés de tout, dans un monde à part, dans un monde en communion avec la montagne, un monde d'humilité, un monde serein, en sécurité. Le décalage total ! Encore sous la magie de cette rencontre, j'ai des difficultés à lui expliquer ce que l'on vient de vivre. Je ne sais que m'excuser. Au fond de moi, je ne sais pas de quoi je m'excuse, mais je comprends son inquiétude.
Un dernier coup d’œil en arrière. Un mâle semble nous saluer de loin, perché sur un rocher. Le col passé, l'aventure avec les bouquetins est finie. Des images plein la tête, nous redescendons dans la vallée vers Bonneval, là où notre randonnée de trois jours se terminera.
Après cette aventure, ce que je souhaite le plus, c'est que mes enfants se souviennent dans leur vie d'adulte qu'il est toujours possible de ressentir des moments d'alignement et d'accord avec soi si on le désire vraiment. Peut-être reviendront-ils à la montagne pour cela ? Mais finalement, peu importe l'endroit. Que le souvenir de ces moments et de ces sentiments, leur donne la force et la conscience que d'être en accord avec soi, d'être alignés entre ce qu'ils pensent, ce qu'ils disent et ce qu'ils font, est possible et fait énormément de bien...
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