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Un orage en Vanoise

Dernière mise à jour : 25 juin 2020

Fin juillet 2017. “Journée ensoleillée, peu nuageuse. 25°C /19°C. Risque d’orage en montagne vers 17h”.  Je ne m’inquiète pas. Selon mon programme, nous serons arrivés au refuge de l'Arpont avant 17h. Le ciel est nuageux mais sur un fond bleu. Rien de menaçant. Il est 7h du matin. Nous nous préparons pour notre randonnée de trois jours comme prévu. Sacs au dos, les sandalettes pendantes, bâtons en main, nous marchons 2 km pour rejoindre Termignon et sa boulangerie sur la place du village. Nous achetons un croissant et du pain pour les deux jours à venir. Puis, nous traversons la rue pour attendre la navette qui nous conduira à 2500 m d’altitude, point de départ de notre périple. La rue grouille de monde. Bizarre. Je comprends que le départ du deuxième Xtra’il Termignon-Bellecombe est à 10h. Je n’arrive pas à distinguer les personnes qui attendent la navette de celles qui viennent encourager les traileurs. Un mauvais sentiment m’envahit. Et s’il n’y avait pas assez de places pour nous quatre dans la navette ? La prochaine est début d’après-midi. Avec les orages annoncés, il est impensable de retarder le départ. Je ne peux pas emmener mes enfants dans des conditions risquées en montagne. Une solution ! Il faut trouver une solution. On aperçoit la navette au bout de la rue. Elle est minuscule. Les gens se regroupent, stressent, se bousculent. Nous n’y arriverons pas. Les enfants commencent à s’inquiéter. “Maman, qu’est-ce qu’on va faire ?” Maman. Maman est la seule personne sur qui compter. Et moi, je ne peux compter que sur moi-même. Je suis seule. Les seules solutions sont le taxi ou l’auto-stop. J’accoste un organisateur du Xtra’il et après négociations, nous voilà tous les quatre embarqués dans une berlingot pour 15 km jusque Bellecombe. Enfin, avec 2h de retard, notre périple peut commencer.

Du refuge d'entre Deux Eaux à 2000m d'altitude, dans la vallée de la Leisse, nous rejoignons le GR5 (Tour de la Haute Maurienne) 400 m plus haut. Le chemin grimpe sur un beau sentier et nous découvrons au loin le glacier de la Grande Motte (3650 m) et les montagnes fraîchement enneigées des alentours. Puis, nous nous arrêtons à proximité des Lacs de Lozières pour dîner. Au loin, des hauts nuages à la base noire se forment. Nous n’avons plus le temps de flâner. Je presse les enfants et nous reprenons la route aussitôt. C'est plus raisonnable !


Après à peine 10 minutes de marche, le ciel s’assombrit. Au loin, le tonnerre gronde et les éclairs flashent. Une petite pluie se met à tomber. Nous enfilons nos capes. Pendant un moment, j’ai pensé que l’orage passerait à côté. Cela ne pouvait pas m’arriver. J’ai toujours de la chance.




Mais en quelques minutes, le vent se lève, une pluie diluvienne s’abat sur le glacier droit devant nous et se transforme en une nuée de grêle de 1 cm de diamètre. Ma fille aînée avance, la tête en avant, sans se retourner. Elle tend sa cape comme un panier pour récolter les grêlons et les déverse ensuite sur le sol. Les deux autres sont inquiets et restent près de moi. Je scrute l’horizon pour trouver un abri. Pas une seule grotte ou rocher pour nous mettre à l’abri. Que faire ? Rebrousser chemin ? Mais non, l’orage va se calmer. Cela ne va pas durer. Je commence à avoir ce sentiment de n’être qu’un minuscule élément par rapport à cette nature déchaînée. Mais les larmes et l’angoisse de mes deux plus jeunes enfants me rappellent que j’ai une responsabilité envers eux, que c’est moi et moi seule qui les ai emmenés là-haut à 2500 m d’altitude en connaissant les risques. Je suis leur seule solution, leur seul pilier. Je n’ai jamais autant ressenti ce sentiment de responsabilité envers mes enfants, aussi fort qu’à ce moment-là, en pleine nature déchaînée, face à ma propre personne. Une grande solitude face à cette responsabilité, un sentiment angoissant et boostant en même temps.  J’ai mille fois entendu que les parents étaient responsables de leurs enfants, mais qui en est vraiment conscient ? On nous lance sur des rails, on a des enfants. Et d'une manière naturelle, on les protège, on les chouchoute, on s’occupe d’eux du mieux qu’on peut. En général, on est deux et la responsabilité est partagée. Mais là, seule face à moi-même et à mon choix de faire ce périple, je n’ai jamais autant compris et pris conscience combien on était responsables de ses enfants et du chemin qu’ils peuvent prendre dans la vie.

L’eau s’est mise à ruisseler sur les chemins gonflant à vue d’œil. Les coups de tonnerre font trembler le sol. Soudain, un éclair frappe à quelques mètres de nous. Des grondements assourdissants et explosions sonores se font entendre. Ma petite fille pleure. Mes vagues souvenirs de physique me soufflent que nous ne sommes pas du tout en sécurité. Après avoir hurlé à ma grande fille de s’arrêter, je les emmène tous les trois derrière un rocher et plaque leurs bâtons de marche au sol. Nous sommes en petites boules, les uns contre les autres, pieds déséquilibrés, bras autour des genoux, têtes posées sur les genoux. Les capes nous protègent. La pluie continue à tomber. Les cœurs sont serrés.  Il faut patienter. Ce temps de pause m’offre un instant de sagesse. Il ne faut pas s’affliger de ce qui ne dépend pas de soi. Mais je n’ai qu’une seule envie : appuyer sur le bouton “undo” pour être par magie, propulsée dans un lieu sûr pour mes trois enfants. Je dois "faire la forte" une fois de plus, ne pas montrer mon stress aux enfants.

Le crescendo a duré une vingtaine de minutes, puis le vent s’est calmé, l’intensité de la pluie a baissé et les éclairs sont devenus plus distants. Nous nous sommes remis en marche. On continue à marcher les chaussures remplies d’eau. Malgré les conditions de marche, on admire le brouillard qui se lève par endroit. Après encore quelques heures de marche, à coacher les enfants pour qu'ils assurent bien leurs pieds sur la roche mouillée et les ruisseaux gonflés d'eau, je commence à me décourager. Nous n'avons rencontré que deux randonneurs et cela fait 2h que nous nous sommes remis en marche. Il est presque 17h. N'ai-je pas loupé le refuge au milieu de cette montagne ? Peut-être était-il invisible dans le brouillard ? Ma carte IGN est trempée et illisible. Pas de réseau pour le GPS sur mon téléphone.

Ma petite fille sent mon découragement et tente de me rassurer. C'est l'inverse cette fois-ci. "Mais non, maman, ce n'est pas possible que l'on ait raté le refuge. Tu nous l'as montré sur internet et il était super grand." Elle a raison. Merci ma puce. C'est vraiment dans ces moments-là que les caractères bruts de chacun se révèlent. Je tente de me raisonner et d'arrêter de trouver des plans pour retourner dans la vallée et ma voiture d'ici la soirée. Puis tout d'un coup, au détour d'un tournant, les bras en l'air et le sourire aux lèvres, les enfants crient :"Il est là !". Et oui, le refuge de l'Arpont est bel et bien là. C'est comme si ma commande "undo" venait seulement de s'activer, quelques heures après avoir appuyé dessus. Ouf!

Plus qu'à tordre nos chaussettes, nous changer, sécher nos chaussures pour le lendemain et se mettre au chaud. Quel enrichissement de comprendre le caractère "brut" de chacun de ses enfants, de prendre conscience de la responsabilité qu'on a envers eux ! Cette aventure nous aidera à nous comprendre et nous se respecter dans la vie de tous les jours, j'en suis sûre.


"Une personne c'est comme un iceberg. On ne voit que la pointe qui dépasse. Pour vraiment connaître quelqu'un, il faut prendre le temps de regarder sous l'eau, sous sa couche de protection. Derrière le paraître, se cache l'être"


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